Les grands arrêts de la jurisprudence en droit informatique : jugement du Tribunal de Grande Instance de Paris, Chambre civile 3, du 12 février 2008 (RG 07-12691)
Tribunal de Grande Instance de Paris, Chambre civile 3
12 février 2008, RG 07-12691
T R I B U N A L
D E GRANDE
I N S T A N C E
D E P A R I S
3ème chambre 1ère section
No RG :
07 / 12691
No MINUTE :
Assignation du :
11 Septembre 2007
JUGEMENT
rendu le 12 Février 2008
DEMANDERESSE
Société LEGALEASE LIMITED
Kensington Square House
12-14 Ansdell Street, Londres W8BN
ROYAUME UNI
représentée par Me Anne VAISSE, avocat au barreau de PARIS, vestiaire R. 38
DÉFENDEUR
Monsieur Mr Imeldus X...
...
75011 PARIS
défaillante
COMPOSITION DU TRIBUNAL
Marie COURBOULAY, Vice Présidente
Florence GOUACHE, Juge
Cécile VITON, Juge
assistées de Léoncia BELLON, Greffier
DEBATS
A l'audience du 17 Décembre 2007
tenue en audience publique
JUGEMENT
Prononcé par remise au greffe
Réputé contradictoire
en premier ressort
EXPOSE DU LITIGE :
La société LEGALEASE Ltd édite dans plus de 86 pays et en France depuis 2003 des guides des professions juridiques intitulés « LEGAL 500 » qui répertorient les principales structures juridiques par spécialités, compétences et notoriété, suite à des enquêtes menées dans le secteur.
Ces guides sont distribués gratuitement à de nombreux professionnels et sont vendus au prix de 120. (environ 180) sur le site www. legalease. co. uk. Ils sont également accessibles sur les sites www. legal500. com et www. avocats-français. com. La version 2006 / 2007 a été tirée à 7. 500 exemplaires et présente plus de 300 structures sur 250 pages de l'avocat indépendant au cabinet international.
En juin 2007, le premier numéro du magazine LAW ACTUALITY est paru sous la direction de Imeldus N. X.... Il est alors apparu à la société LEGALEASE Ltd que l'un des dossier de la publication intitulé " palmarès des cabinets d'avocats d'affaires " reproduisait intégralement de nombreux passages de son guide. Ce dossier qui se présente comme le produit du magazine et dont la publicité est faite sur un bandeau au dessus du titre en page de couverture, s'étend sur 42 pages, constitue quasiment la moitié du magazine (42 pages sur 88) et reprend onze domaines du droit sous une mise en page différente.
Le 11 / 09 / 2007, la société LEGALEASE Ltd a assigné Imeldus N. X..., en sa qualité de Directeur de publication de LAW ACTUALITY, en contrefaçon par reproduction de son oeuvre et en atteinte à ses droits de producteurs de bases de données et demande sa condamnation à lui verser 150.000 € de dommages et intérêts, l'interdiction d'utiliser les données issues des publications ou bases de données de sa société, la publication du jugement sur la 3ème page de couverture du magazine LAW ACTUALITY aux frais exclusifs de M. X..., la publication judiciaire dans trois autres revues ou magazines au choix de LEGALEASE Ltd pour un montant unitaire de 2000 €, la condamnation de M. X... à verser la somme de 8.000 € au titre de l'article 700 NCPC et aux entiers dépens, dont distraction au profit de Me Anne VAISSE.
Imeldus X..., régulièrement touché à personne, n'a pas constitué avocat. Un jugement réputé contradictoire sera rendu à son égard ;
MOTIFS DE LA DECISION :
Sur les droits d'auteur de la société LEGALEASE Ltd :
L'article L112-1 du code de la propriété intellectuelle protège les auteurs d'oeuvres de l'esprit. En outre, en vertu de l'article L112-3 du même code, la base de données est considérée comme un recueil d'oeuvres, de données ou d'autres éléments indépendants, disposés de manière systématique ou méthodique, et individuellement accessible par des moyens électroniques ou tout autre moyen et peut être en fonction du choix ou de la disposition de ses matières, considérée comme une création intellectuelle susceptible de protection. Enfin, l'article L121-2 prévoit que l'auteur a seul le droit de divulguer son oeuvre. Il est ainsi considéré que nul ne peut quel que soit sa bonne foi diffuser une oeuvre sans autorisation.
En l'espèce, la preuve de l'originalité de la base de données LEGALEASE n'est pas rapportée par le demandeur. L'empreinte de la personnalité de l'auteur sur le travail de sélection, de présentation et de classement des informations qui y figurent n'est pas caractéristique et ne permet pas de déduire l'existence d'une oeuvre au sens de l'article L112-3 du Code de la propriété intellectuelle. Les demandes fondées sur le droit d'auteur de la société LEGALEASE Ltd sont rejetées.
Sur les droits de producteur de base de données de la société LEGALEASE Ltd :
En revanche, en vertu de l'article L341-1 du Code de la propriété intellectuelle, le producteur de base de données, entendu comme la personne qui prend l'initiative et le risque des investissements correspondants, bénéficie d'une protection du contenu de la base lorsque la constitution, la vérification ou la présentation de celui-ci atteste d'un investissement financier, matériel ou humain substantiel. Cette protection est indépendante et s'exerce sans préjudice de celles résultant du droit d'auteur.
De manière plus précise, l'article L342-1 permet d'interdire au profit du producteur de données toute extraction, par transfert d'une partie substantielle du contenu d'une base de données sur un autre support et toute réutilisation par la mise à disposition du public du contenu de la base.
En l'espèce, le guide « LEGAL 500 » est le fruit d'un véritable travail de recherche, de comparaison et de classement d'informations sur les cabinets d'avocats qui constitue bien, au sens de l'article L341-1 du code de la propriété intellectuelle, une base de données ayant nécessité des investissements importants,.
Il ressort des pièces produites que certains extraits de cette base accessible sur internet et sur une version papier ont été reproduits in extenso :
- Les sept paragraphes d'introduction de « LEGAL 500 » (page 19 du guide) sont intégralement repris dans le magazine « Law Actuality » (page 34) ;
- Les pages 52-71 du guide « LEGAL 500 » sont reprises en pages 35-45 du magazine « Law Actuality » sous la rubrique " droit général des affaires " ;
- Les pages 23-30 du guide « LEGAL 500 » sont reprises en pages 46-49 du magazine « Law Actuality » sous la rubrique " droit public et administratif " ;
- Les pages 172-180 du guide « LEGAL 500 » sont reprises en pages 50-52 du magazine « Law Actuality » sous la rubrique " droit fiscal " ;
- Les pages 163-169 du guide « LEGAL 500 » sont reprises en pages 53-55 du magazine « Law Actuality » sous la rubrique " droit immobilier " ;
- Les pages 140-155 du guide « LEGAL 500 » sont reprises en pages 56-60 du magazine « Law Actuality » sous la rubrique " fusions acquisitions " ;
- Les pages 169-171 du guide « LEGAL 500 » sont reprises en pages 61-62 du magazine « Law Actuality » sous la rubrique " droit maritime " ;
- Les pages 114-117 du guide « LEGAL 500 » sont reprises en pages 63-64 du magazine « Law Actuality » sous la rubrique " droit des procédures collectives " ;
- Les pages 108-114 du guide « LEGAL 500 » sont reprises en pages 65-67 du magazine « Law Actuality » sous la rubrique " technologies de l'information, télécommunications et internet " ;
- Les pages 33-41 du guide « LEGAL 500 » sont reprises en pages 68-71 du magazine « Law Actuality » sous la rubrique " banque et finance " ;
- Les pages 30-32 du guide « LEGAL 500 » sont reprises en pages 72-73 du magazine « Law Actuality » sous la rubrique " droit aérien " ;
- Les pages 78-83 du guide « LEGAL 500 » sont reprises en pages 74-75 du magazine « Law Actuality » sous la rubrique " arbitrage international " ;
De la sorte, loin d'avoir reproduit de courtes citations, le magazine de M. X... a réalisé une reproduction complète d'une grande partie de la base de données protégée, sans aucun droit de le faire. Il a également laissé supposer par les propos introductifs du palmarès que les éléments proposés sont le fruit du travail et de l'investissement de la rédaction du magazine qui prétend s'être fondé sur trois critères pour établir le classement. Il n'a nullement cité sa source de manière claire. Il convient en conséquence de reconnaitre qu'il a atteint les droits de producteur de base de données de la société LEGALEASE Ltd.
Il convient d'allouer en réparation du préjudice subi la somme de 10.000 € en l'absence d'éléments de chiffrage permettant d'établir davantage l'ampleur de l'atteinte aux droits de producteur de base de données.
En outre, il convient de faire droit aux demandes de publications judiciaires sollicitées et d'ordonner la publication du jugement à intervenir aux frais de Monsieur X... dans trois revues au choix de la société LEGALEASE Ltd dans la limite de 2.000 € HT / insertion et en 3ème page de couverture de « Law Actuality ».
Par ailleurs, LEGALEASE Ltd se plaint d'atteinte à sa réputation. Cependant, elle ne peut sans contradiction arguer de ne pas être citée par la publication de M. X... et indiquer voir sa réputation atteinte. En effet, elle ne rapporte aucune d'atteinte à sa réputation distincte des conséquences des actes de contrefaçon déjà réparées. Les demandes de ce chef sont donc rejetées.
La partie succombante doit assumer les frais et dépens de l'instance ainsi que les sommes demandées au titre de l'article 700 NCPC, M. X... est condamné à verser à la société LEGALEASE Ltd la somme de 5.000 EUROS, ainsi qu'à l'ensemble des dépens.
PAR CES MOTIFS,
Le Tribunal, statuant par jugement déposé au greffe, réputé contradictoire et en premier ressort :
- Dit que Imeldus N. X... a commis des atteintes aux droits de producteur de base de données au préjudice de la société LEGALEASE Ltd en reproduisant de larges extraits de la base « LEGAL 500 » dans le magazine LAW ACTUALITY ;
- Condamne Dominique X... à verser à la société LEGALEASE Ltd la somme de 10.000 € en réparation de ces atteintes ;
- Ordonne la publication du jugement à intervenir aux frais de Monsieur X... dans trois revues au choix de la société LEGALEASE Ltd dans la limite de 2.000 € HT / insertion et ordonne la publication du jugement en 3ème page de couverture de « Law Actuality » ;
- Rejette le surplus des demandes ;
- Condamne Dominique X... à verser à la société LEGALEASE Ltd la somme de 5.000 EUROS sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
- Condamne Dominique X... à payer les entiers dépens, dont distraction au profit de Me Anne VAISSE, conformément à l'article 699 du NCPC.
FAIT ET JUGE A PARIS LE DOUZE FEVRIER DEUX MIL HUIT
LE GREFFIER
LE PRESIDENT
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