Les grands arrêts de la jurisprudence en droit informatique : jugement du Tribunal de Grande Instance de Paris, CT0087, du 15 novembre 2006 (RG )
Tribunal de Grande Instance de Paris, CT0087
15 novembre 2006, RG
TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE PARIS
3ème chambre 3ème section
No RG : 05/07140
No MINUTE :
Assignation du : 22 Avril 2005
Expéditions exécutoires délivrées le :
JUGEMENT rendu le 15 Novembre 2006
DEMANDERESSE
L'ETAT FRANCAIS représenté par l'Agent du Trésor, demeurant Ministère des Fiannces, Bâtiment Condorcet, Teledoc 353, ... représentée par Me Yves BAUDELOT, avocat au barreau de PARIS, vestiaire P 216
DÉFENDERESSE
S.A. LECTIEL, dont le nom commercial est FILETECH S 2 P BUSINESS CENTER Centre Dillon Valmeniere 97200 FORT DE FRANCE défaillant
COMPOSITION DU TRIBUNAL
Elisabeth X..., Vice-Président, signataire de la décision Agnès B..., Vice-Président Pascal MATHIS, Juge assistée de Marie-Aline PIGNOLET, Greffier, signataire de la décision DEBATS
A l'audience du 03 Octobre 2006 tenue publiquement
JUGEMENT Prononcé publiquement Réputé contradictoire en premier ressort
FAITS ET PRETENTIONS DES PARTIES: L'ETAT FRANÇAIS représenté par l'INSEE a déposé auprès de l'INPI le 11 juillet 1988 sous le numéro 14 76873 la marque SIRENE dans les classes 9, 16, 35, 38 et 42 pour désigner les produits et services suivants : "supports d'enregistrements magnétiques et plus particulièrement disquettes ; produits de l'imprimerie ; publicités et affaires, aide aux entreprises industrielles et commerciales dans la conduite de leurs affaires ; conseils, informations ou renseignements d'affaires ; entreprise à façon de travaux statistiques, reproductions de documents ; communications, agence de presse et d'informations ; services informatiques ou télématiques en base de données et en particulier fichier informatique constitué à partir du système national d'identification et du répertoire des entreprises et établissements ; travaux d'ingénieur, consultations professionnelles et établissement de plans sans rapport avec la conduite des affaires."
Cette marque a été renouvelée le 17 mars 1998. L'ETAT FRANÇAIS représenté par l'INSEE a également déposé auprès de l'INPI le 4 décembre 1997, sous le numéro d'enregistrement 97 707 345, la marque INSEE, dans les classes 9, 16, 35, 38, 41 et 42 pour désigner les produits et services suivants : "supports d'enregistrements magnétiques et plus particulièrement disquettes, cédérom, logiciels (programmes enregistrés), produits de l'imprimerie, matériel d'instruction ou d'enseignement à l'exception des appareils, publicités, conseils en informations et renseignements d'affaires, production de documents, entreprises à façon de travaux statistiques ; communication pour terminaux d'ordinateurs, agence de presse et d'informations, télécommunications ; éducation, édition de livres, institutions d'enseignement ; travaux d'ingénieur, programmation pour ordinateurs ; gestion de fichiers informatiques ; services télématiques." Le demandeur soutient que l'INSEE a découvert que la société LECTIEL commercialise sous l'enseigne Filetech , une base de données intitulée "l'annuaire universel des entreprises", dont elle dit sur son site "www.filetech.com" que "cette base est la résultante de la fusion de trois bases de données référentes : répertoire SIRENE V de l'INSE, l'annuaire universel des entreprises, bilans des sociétés. "
Par acte d'huissier de Justice en date du 22 avril 2005, qui constitue ses uniques écritures, l'ETAT FRANÇAIS représenté par l'Agent Judiciaire du Trésor, a assigné la S.A. LECTIEL, devant le Tribunal de Grande Instance de Paris pour demander de :
au visa de la publicité faite par la société LECTIEL pour la base de données qu'elle commercialise sous le titre "L'annuaire universel des entreprises", et des articles L335-2 et L335-3 du code de la propriété intellectuelle,
dire que la commercialisation par la société LECTIEL de sa base de données "l'annuaire universel des entreprises" constitue une contrefaçon de la base SIRENE de l'INSEE et qu'elle est constitutive, au préjudice de l'INSEE, c'est à dire de l'Etat, du délit de contrefaçon prévue par les articles L335-2 et L335-3 du code de la propriété intellectuelle, au visa des articles et suivants du code de la propriété intellectuelle, et notamment de l'article L342-1 du code de la propriété intellectuelle,
dire que l'édition et la commercialisation par la société LECTIEL de sa base de données intitulée "l'annuaire universel des entreprises" contrevient au préjudice de l'INSEE, c'est à dire de l'Etat, aux dispositions de l'article L342-1 du code de la propriété intellectuelle et l'expose de ce fait aux sanctions prévues par l'article L343-1 du code de la propriété intellectuelle,
au visa des articles L713-2 et suivants du code de la propriété intellectuelle,
dire que l'utilisation par la société LECTIEL des dénominations INSEE et SIRENE, dans les publicités qu'elle fait pour sa base de données "l'annuaire universel des entreprises" constitue au préjudice de l'INSEE c'est à dire de l'Etat le délit de contrefaçon de marque prévu par l'article L716-1 du code de la propriété intellectuelle,
au visa de l'article 1382 du code civil,
dire que la commercialisation par la société LECTIEL de la base de données "l'annuaire universel des entreprises" et l'annonce dans ses documents publicitaires de ce qu'elle serait la résultante de la base SIRENE de l'INSEE constituent au préjudice de l'INSEE, c'est à dire de l'Etat une action parasitaire et une concurrence déloyale qui engage sa responsabilité sur le fondement de l'article 1382 du code civil,
faire interdiction à la société LECTIEL de continuer à commercialiser une base de données, qu'elle soit ou non intitulée "l'annuaire universel des entreprises" qui est la résultante de la base SIRENE de l'INSEE et ce sous astreinte de 30.000 euros par infraction constatée,
faire interdiction à la société LECTIEL d'utiliser les dénominations INSEE et SIRENE dans les documents de présentation de sa base de données "l'annuaire universel des entreprises" ainsi que par toute autre banque de données qu'elle pourrait commercialiser, et ce sous astreinte de 30.000 euros par infraction constatée,
ordonner notamment à la société LECTIEL de supprimer de son site internet "www.filetech.com" les dénominations INSEE et SIRENE dans la présentation qu'elle fait de l'annuaire universel des entreprises" et ce sous astreinte de 30.000 euros par jour de retard,
condamner la société LECTIEL à payer à l'Agent Judiciaire du Trésor une somme de 75.000 euros à titre de dommages-intérêts ainsi que les intérêts de droit,
ordonner à titre de complément de réparation la publication du jugement à intervenir dans cinq journaux au choix de l'Agent Judiciaire du Trésor et aux frais de la société LECTIEL, condamner la société LECTIEL à lui payer une somme de 7.000 euros en application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile,
ordonner l'exécution provisoire de la décision à intervenir,
condamner la société LECTIEL en tous les dépens, avec distraction au profit de Maître Yves BAUDELOT, avocat, en application de l'article 699 du Nouveau Code de Procédure Civile.
La S.A. LECTIEL assignée à une personne se déclarant habilitée à recevoir l'acte, n'a pas constitué avocat.
MOTIFS DE LA DECISION
Le demandeur a versé aux débats un extrait Kbis de la SA LECTIEL délivré le 19 septembre 2006 faisant apparaître qu'à compter du 3 avril 2001 cette société a été placée en redressement judiciaire, Maître Franck Z... étant désigné comme administrateur judiciaire et Maître Michel Y... comme représentant de créanciers.
Une mention du 16 juin 2004 indique que par jugement du 10 septembre 2002 le plan de continuation a été homologué et Maître Alain A... désigné comme commissaire au plan.
Le tribunal observant que les simples extraits d'écran du site "www.filetech.com" ne permettent pas d'établir qui est le titulaire du site, d'autant qu'il apparaît qu'auparavant existait une société FILETECH, qui était titulaire d'une licence de rediffusion d'informations contenues dans le répertoire SIRENE, a demandé à la société LECTIEL de produire aux débats un constat établissant quel était le titulaire du site à l'époque incriminée, et quel était le contenu du site à cette époque, étant observé que les simples captures d'écran effectuées par le demandeur et la copie des courriers qu'il a lui-même envoyés ne sauraient suffire à établir le contenu du site litigieux et qui en est titulaire.
Le demandeur établit qu'il ne lui a pas été possible de faire établir un constat par l'agence de protection des programme les pages litigieuses n'étant plus en ligne et n'ayant pas été archivées, mais, en revanche que cela ressort d'un courrier du président de la société "EUROPENNE DE DONNEES" dont le siège est à Paris qui fait état de la consultation du site litigieux.
S'agissant d'un tiers aux parties, cet élément permet de retenir la réalité de la parution alléguée.
Sur la contrefaçon des marques
C'est au regard de l''article L713-2 a) du code de la propriété intellectuelle qui dispose que "sont interdits, sauf autorisation du propriétaire : la reproduction, l'usage ou l'apposition d'une marque (...) ainsi que l'usage d'une marque reproduite, pour des produits ou services identiques à ceux désignés dans l'enregistrement" que doit être apprécié le grief de contrefaçon.
En l'espèce, le site du défendeur contient la mention "répertoire SIRENE de l'INSEE.
Il y a donc reproduction à l'identique des signes SIRENE et INSEE pour des produits similaires s'agissant de l'exploitation de bases de données.
Dès lors, le défendeur s'est rendu coupable d'actes de contrefaçon par reproduction.
Sur la contrefaçon de bases de données
Selon l'article L. 341-1 du code de propriété intellectuelle :"Le producteur d'une base de données, entendu comme la personne qui prend l'initiative et le risque des investissements correspondants, bénéficie d'une protection du contenu de la base lorsque la constitution, la vérification ou la présentation de celui-ci atteste d'un investissement financier, matériel ou humain substantiel. Cette protection est indépendante et s'exerce sans préjudice de celles résultant du droit d'auteur ou d'un autre droit sur la base de données ou un de ses éléments constitutifs."
En l'espèce, il est constant que le défendeur commercialise une base de données intitulée "l'annuaire universel des entreprises" qui reprend les données de la base SIRENE de l'INSEE.
Ce faisant elle commet des actes de contrefaçon de la base de données du demandeur.
Sur la concurrence déloyale et parasitaire
En l'espèce, le demandeur ne caractérise pas l'existence d'actes distincts de la contrefaçon seuls susceptibles d'ouvrir droit à réparation sur le fondement de la concurrence déloyale et parasitaire.
Il y a donc lieu de rejeter cette demande Sur les mesures réparatrices Le tribunal Le tribunal possède suffisamment d'éléments pour fixer à la somme de 50.000 euros la réparation du préjudice né des actes de contrefaçon.
Il convient également de faire droit aux mesures d'interdiction selon des modalités fixées au dispositif.
A titre de complément de réparation, il ya lieu d'autoriser la publication du présente jugement Sur l'exécution provisoire Il y a lieu d'ordonner l'exécution provisoire compte tenu de la nature de l'affaire.
Sur l'application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile
Il paraît inéquitable de laisser à la charge du demandeur les frais irrépétibles et non compris dans les dépens. Il convient de lui allouer à ce titre une indemnité de 7000 Euros.
PAR CES MOTIFS
Le Tribunal statuant publiquement, par jugement réputé contradictoire et en premier ressort
Dit qu'en commercialisant une base de données intitulée "l'annuaire universel des entreprises", la société LECTIEL a commis des actes de contrefaçon de la base de données SINENE de l'INSEE, Dit qu'en utilisant les signes SIRENE et INSEE dans sa publicité pour sa base de données sur son site internet, la société LECTIEL a commis des actes de contrefaçon des marques SIRENE no14 76873 et INSEE no97 707 345,
Condamne la société LECTIEL a payer à L'ETAT FRANCAIS représenté par M. L'AGENT JUDICIAIRE DU TRESOR la somme de 50.000 euros (CINQUANTE MILLE EUROS) à titre de dommages-intérêts,
Fait interdiction à la société LECTIEL de continuer à commercialiser la base de donnée "annuaire universelle des entreprises" ou tout autre base de données, résultant de la base de donnée SIRENE de l'INSEE, sous astreinte de 150 euros par infraction constatées passé le délai de huit jours suivant la signification du présent jugement,
Fait interdiction à la société LECTIEL d'utiliser les signes SIRENE et INSEE, dans les document de présentation de ses bases de données, qu'elles soient ou non intitulée "annuaire universel des entreprises" sous astreinte de 150 euros par infraction constatées passé le délai de huit jours suivant la signification du présent jugement
Dit que le tribunal se réserve la liquidation des astreintes,
Autorise le demandeur à faire publier le dispositif du présent jugement dans cinq journaux de son choix et aux frais de la défenderesse, chaque insertion ne devant pas dépasser la somme de 4000 euros H.T. par insertion,
Déboute le demandeur pour le surplus,
Condamne la société LECTIEL à payer au demandeur la somme de 7000 euros (SEPT MILLE EUROS) en application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile,
Ordonne l'exécution provisoire , condamne la société LECTIEL aux entiers dépens avec distraction au profit de Maître Yves BAUDELOT en application de l'article 699 du nouveau code de procédure civile.
Ainsi jugé et prononcé le 15 Novembre 2006.
Le Greffier
Le Président
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