Les grands arrêts de la jurisprudence en droit informatique : arrêt de la Cour de cassation, chambre criminelle, du 2 novembre 2005 (pourvoi 04-86.592)
Cour de cassation, chambre criminelle
2 novembre 2005, pourvoi 04-86.592
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le deux novembre deux mille cinq, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le rapport de Mme le conseiller référendaire GAILLY, les observations de Me HAAS, et de la société civile professionnelle VINCENT et OHL, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général FRECHEDE ;
Statuant sur le pourvoi formé par :
- X... Patrick,
contre l'arrêt de la cour d'appel de PARIS, 13ème chambre, en date du 18 octobre 2004, qui, dans la procédure suivie contre lui du chef de tromperie, a prononcé sur les intérêts civils ;
Vu les mémoires produits en demande et en défense ;
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles L. 213-1 du Code de la consommation, 111-3 et 111-4 du Code pénal, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a condamné Patrick X... à verser à la société Fimco la somme de 12 000 euros à titre de dommages et intérêts ;
"aux motifs que lorsqu'un logiciel fait l'objet d'une édition à plusieurs milliers d'exemplaires et d'une distribution au sein d'un réseau commercial, il ne s'agit en rien pour le revendeur de cet article d'une oeuvre de l'esprit mais bien d'un produit dont il assure la commercialisation ; qu'en tant que tel, ce produit relève des biens ou marchandises dont les tromperies commises par ceux qui assurent leur revente sont susceptibles d'être pénalement sanctionnées ;
"alors, d'une part, que la loi pénale est d'interprétation stricte ; qu'en application de ce principe, les dispositions de l'article L. 213-1 du Code de la consommation en ce qu'elles visent les contrats portant sur des "marchandises" ou "produits" ne s'appliquent qu'aux contrats portant sur des meubles corporels, à l'exclusion des biens incorporels ; que la vente d'un logiciel à un particulier a seulement pour objet la cession à l'utilisateur de droit d'utilisation du programme informatique et donc la cession de droits incorporels ; qu'elle échappe, dès lors, à l'infraction prévue et réprimée par l'article L. 213-1 du Code de la consommation ;
"alors, d'autre part, que l'édition à plusieurs milliers d'exemplaires d'un logiciel ne lui fait pas perdre son caractère d'oeuvre de l'esprit et ne modifie pas l'objet de sa cession, laquelle ne peut porter que sur les droits d'utilisation" ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure que la société Fimco a obtenu de la société Eurecom la fourniture d'un logiciel de gestion de commandes qui, selon les stipulations contractuelles, devait permettre le calcul d'une facturation comportant cinq niveaux de remises en cascade ; que la société Fimco, exposant que le programme livré n'intégrait pas cette fonction, a porté plainte avec constitution de partie civile contre Patrick X..., directeur commercial de la société Eurecom, du chef de tromperie sur les qualités substantielles d'un produit ; que celui-ci, renvoyé devant le tribunal correctionnel, a été relaxé et que seule la partie civile a interjeté appel ;
Attendu que, pour écarter l'argumentation de Patrick X... et caractériser à son encontre l'élément matériel du délit de tromperie, l'arrêt retient qu'un logiciel, lorsqu'il fait l'objet d'une édition à plusieurs milliers d'exemplaires et d'une distribution au sein d'un réseau commercial, n'est plus une oeuvre de l'esprit mais un produit entrant dans les prévisions de l'article L. 213-1 du Code de la consommation ;
Attendu que, si c'est à tort que la cour d'appel énonce que le logiciel vendu avait perdu son caractère de bien incorporel en raison de sa large diffusion, l'arrêt n'encourt néanmoins pas la censure, dès lors que l'article L. 216-1 du Code de la consommation applique aux prestations de services les dispositions de l'article L. 213-1 dudit Code et que constitue une telle prestation la fourniture d'un logiciel qui ne confère au contractant qu'un droit d'usage ;
D'où il suit que le moyen ne peut être admis ;
Sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation des articles L. 213-1 du Code de la consommation, 121-3 du Code pénal, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a condamné Patrick X... à verser à la société Fimco la somme de 12 000 euros à titre de dommages et intérêts ;
"aux motifs qu'il a été établi par l'information que ce logiciel commandé ne pouvait répondre aux besoins de la société Fimco tels que décrits dans le cahier des charges, et ce même après paramétrage ; que M. Y..., qui s'est rendu sur place afin de procéder à la formation des membres de la société Fimco et qui est l'un des meilleurs connaisseurs de ce logiciel, a immédiatement déclaré aux représentants de la société Fimco que le logiciel en question n'était pas capable de calculer les cinq niveaux de remise sollicités ; qu'en vendant à la société Fimco un logiciel qui ne répondait pas aux souhaits exprimés dans le cahier des charges en dépit des assurances contraires données par courrier du 1er février 1999, Patrick X..., qui est un professionnel, a commis une faute caractérisant le délit de tromperie et ouvrant droit à réparation ;
"alors qu'il n'y pas de délit sans intention de le commettre ; que les juges du fond, tenus de motiver leur décision, doivent caractériser l'élément intentionnel de l'infraction ; qu'à défaut d'avoir fait ressortir que Patrick X... avait sciemment trompé la société Fimco sur les capacités du logiciel, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision" ;
Attendu que, pour caractériser l'élément intentionnel du délit de tromperie, l'arrêt relève que Patrick X..., qui est un professionnel, a livré un logiciel ne répondant pas aux exigences contractuelles, alors qu'il avait donné par courrier des assurances contraires à sa cliente ;
Attendu qu'en l'état de ces énonciations, la cour d'appel a justifié sa décision ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le troisième moyen de cassation, pris de la violation des articles L. 213-1 du Code de la consommation, 6.1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 2, 3, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a condamné Patrick X... à verser à la société Fimco la somme de 12 000 euros à titre de dommages et intérêts ;
"aux motifs que compte tenu des éléments versés aux débats, la Cour possède les éléments suffisants pour évaluer à la somme globale de 12 000 euros le préjudice subi par la société Fimco et condamner le prévenu au paiement de cette somme ;
"alors que les juges du fond doivent répondre aux conclusions des parties ; qu'au cas d'espèce, dans ses conclusions d'appel, Patrick X... avait contesté certains postes du préjudice invoqués par la société Fimco ; que par suite, en fixant le préjudice à la somme globale de 12 000 euros sans répondre à ce moyen dont elle avait été régulièrement saisie, la cour d'appel a insuffisamment motivé sa décision" ;
Attendu qu'en évaluant, comme elle l'a fait, la réparation du préjudice matériel de la société Fimco, la cour d'appel n'a fait qu'user de son pouvoir d'apprécier souverainement, dans la limite des conclusions des parties, l'indemnité propre à réparer le dommage né de l'infraction ;
Que, dès lors, le moyen ne saurait être accueilli ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Etaient présents aux débats et au délibéré : M. Cotte président, Mme Gailly conseiller rapporteur, MM. Farge, Blondet, Palisse, Le Corroller, Castagnède, Beauvais conseillers de la chambre, Mme Guihal, MM. Chaumont, Delbano conseillers référendaires ;
Avocat général : M. Fréchède ;
Greffier de chambre : Mme Lambert ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;
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