Les grands arrêts de la jurisprudence en droit informatique : arrêt de la Cour de cassation, chambre commerciale, du 19 février 2002 (pourvoi 99-15.722)
Cour de cassation, chambre commerciale
19 février 2002, pourvoi 99-15.722
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIERE ET ECONOMIQUE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le pourvoi formé par la société Française de factoring, société anonyme, dont le siège est ...,
en cassation d'un arrêt rendu le 9 avril 1999 par la cour d'appel de Besançon (2e chambre civile), au profit des établissements René X... & compagnie, société anonyme, dont le siège est 21, Le Village, 39220 Bois d'Amont,
défendeurs à la cassation ;
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt ;
LA COUR, composée selon l'article L. 131-6, alinéa 2, du Code de l'organisation judiciaire, en l'audience publique du 9 janvier 2002, où étaient présents : M. Tricot, conseiller doyen faisant fonctions de président, M. de Monteynard, conseiller référendaire rapporteur, M. Badi, conseiller, Mme Arnoux, greffier de chambre ;
Sur le rapport de M. de Monteynard, conseiller référendaire, les observations de Me Choucroy, avocat de la société Française de factoring, de la SCP Masse-Dessen, Georges et Thouvenin, avocat des établissements René X... & compagnie, les conclusions de M. Lafortune, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Sur le moyen unique, pris en ses trois branches :
Attendu que l'arrêt déféré (Besançon, 9 avril 1999) a prononcé la résolution de la vente de progiciels par la société Graphisoft à la société René X... (société X...) et condamné la société Française de factoring (société FF), subrogée dans les droits du vendeur, à restituer à la société X... la part de prix payée par cette dernière ;
Attendu que la société FF reproche à l'arrêt d'avoir ainsi statué, alors, selon le moyen :
1 / qu'ainsi que le précisaient en effet les conclusions de la société FF, contrairement au logiciel, matériel informatique spécifiquement adapté aux besoins du client et nécessitant en conséquence une étude préalable de ses besoins spécifiques afin de lui procurer un matériel parfaitement adapté à son activité, le progiciel est un logiciel standard préétabli à partir de l'expérience acquise sur les besoins généraux et normaux d'une même activité professionnelle et est donc nécessairement livré tel quel avec la documentation appropriée, sans pouvoir prendre en compte les besoins spécifiquement exprimés par le client et qui auraient nécessité une étude préalable longue et coûteuse ; qu'ainsi en droit le fournisseur d'un progiciel satisfait suffisamment à son obligation de délivrance du seul fait que le matériel livré correspond au logiciel standard décrit dans la documentation ; qu'en l'espèce donc où la société Graphisoft avait livré à l'imprimerie de la société X... des logiciels standards préétablis pour les activités d'imprimerie, elle avait nécessairement satisfait à son obligation de délivrance dès lors qu'il n'était pas contesté que ces matériels correspondait exactement à la documentation qui lui avait été fournie ; que l'arrêt a donc violé les articles 1134 et 1604 du Code civil ;
2 / que si tout fournisseur de tout matériel informatique est légalement tenu à une obligation de conseil, obligation de moyens purement relative, cette obligation de conseil se limite, en cas de fourniture d'un progiciel, à attirer l'attention du client sur les fonctions avec avantages et inconvénients du progiciel, eu égard aux besoins exprimés par le client ; qu'en l'espèce si, au début de la période précontractuelle de 18 mois la société X... avait exprimé en février 1994 après une première démonstration, l'importance d'obtenir des prix au cent, elle n'a plus repris cette prétendue exigence ni à l'occasion des deux autres démonstrations des mêmes produits en mai 1994 et en juin 1995, ni lors de la signature en juillet 1995 des contrats de licence et de maintenance, ni lors de la livraison du matériel en septembre 1995, malgré le fait que la société X... ait été constamment assistée par un technicien de l'informatique et qu'elle ait reçu depuis mai 1994 la documentation appropriée faisant clairement état de l'obtention du prix sur mille ; qu'il s'ensuit que la société Graphisoft -qui ne pouvait s'attendre à ce que la société X... reprenne six semaines après la livraison une soi-disant exigence formulée bien avant la conclusion du contrat, sur laquelle elle avait été taisante pendant la longue période précontractuelle où elle avait liberté de traiter avec une autre entreprise informatique concurrente- a suffisamment satisfait à son obligation de conseil ; que l'arrêt a donc violé les articles 1134 et 1147 du Code civil ;
3 / que le prétendu manquement à l'obligation de conseil dont fait état l'arrêt ne pouvait légalement justifier la rupture unilatérale d'un contrat signé et exécuté par livraison et dont le prix avait été partiellement payé par la société X..., dans la mesure où cette rupture est intervenue à l'époque où précisément la société Graphisoft avait proposé gracieusement à la société X... qui n'était que titulaire de licences d'exploitation de progiciels, sa prochaine version 7.0 permettant de réaliser des prix au cent ; que l'arrêt a donc violé encore les articles 1134, 1147 et 1184 du Code civil ;
Mais attendu que c'est par une interprétation souveraine de la portée du contrat de vente conclu entre la société Graphisoft et la société X... que la cour d'appel, en procédant à une analyse concrète des éléments qui lui ont été soumis, a retenu, d'un côté, que la société Graphisoft, soumise à une obligation de recherche de la volonté du client et de ses besoins, était tenue à une particulière obligation de conseil directement liée aux réclamations après la mise en place des progiciels, et que l'une d'entre elle avait été estimée suffisamment essentielle pour avoir fait l'objet, dès le début de la période précontractuelle, d'un avertissement écrit de la part de la société X... qui en avait rappelé le caractère indispensable et, d'un autre côté, qu'elle n'avait pas rempli cette obligation ; qu'ainsi la cour d'appel a légalement justifié sa décision ; que le moyen ne peut être accueilli en aucune de ses branches ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Française de factoring aux dépens ;
Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, condamne la société Française de factoring à payer aux établissements René X... & compagnie la somme de 1 800 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par M. le conseiller doyen faisant fonctions de président en l'audience publique du dix-neuf février deux mille deux.
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