Les grands arrêts de la jurisprudence en droit informatique : arrêt de la Cour de cassation, chambre commerciale, du 25 novembre 1997 (pourvoi 95-14.603)
Cour de cassation, chambre commerciale
25 novembre 1997, pourvoi 95-14.603
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Agen, 20 février 1995), que la société Agi 32 a acheté un exemplaire de la revue mensuelle éditée par la société Exa publications, aux droits de laquelle vient la société Excelsior informatique ; que, dans cette revue, était insérée une disquette de gestion de bureautique qui s'est révélée être infectée d'un virus ; que la société Agi 32 a introduit une instance pénale contre MM. X... et Y..., tiers aux sociétés de publication, et a assigné celles-ci devant la juridiction civile en paiement de dommages-intérêts, en raison du préjudice subi du fait de la contamination de son système informatique ;
Sur le premier moyen, pris en ses deux branches :
Attendu que les sociétés Exa publications et Excelsior informatique font grief à l'arrêt d'avoir refusé de faire droit à la demande de sursis à statuer, alors, selon le pourvoi, d'une part, que l'identité de cause d'objet ou de parties n'est pas une condition d'application de l'article 4, alinéa 2, du Code de procédure pénale et qu'en décidant le contraire pour écarter la demande de sursis à statuer présentée par la société Excelsior informatique, la cour d'appel a violé, par fausse application, ledit texte ; et alors, d'autre part, que si la juridiction pénale devait déclarer MM. X... et Y... coupables des délits prévus par les articles 462-3 et 462-4 du Code pénal, la société Agi 32 serait en droit, en sa qualité de partie civile, d'obtenir réparation du préjudice matériel résultant de l'utilisation d'une disquette infectée par leurs soins et, notamment, de la perte de son chiffre d'affaires ; que, dès lors, la décision à intervenir au pénal était de nature à influer sur le montant des condamnations qui seraient éventuellement mises à la charge de la société Excelsior informatique, poursuivie devant la juridiction civile par la société Agi 32 pour obtenir l'indemnisation de son préjudice matériel, notamment de la perte de son chiffre d'affaires résultant de l'utilisation de la disquette infectée ; que, dès lors, à supposer que la cour d'appel, nonobstant l'erreur de droit commise, puisse être considérée comme ayant recherché si la décision à intervenir au pénal était de nature à influer sur la décision rendue au civil, elle ne pouvait refuser le sursis à statuer sans violer l'article 4, alinéa 2, du Code de procédure pénale ;
Mais attendu, d'une part, qu'en relevant que la décision pénale à intervenir sur les fautes délictuelles de MM. X... et Y... n'avait aucune incidence sur la définition de la consistance des obligations du vendeur, l'arrêt n'encourt pas le grief de la première branche ;
Attendu, d'autre part, que la cour d'appel a constaté que la société Excelsior n'avait pas prétendu ni justifié que la société Agi 32 avait été effectivement indemnisée dans le cadre de l'instance pénale ; qu'elle a relevé également que la constitution de partie civile de la société Agi 32 à l'encontre de MM. Y... et X... n'avait pu épuiser les droits de la société Agi 32 à l'encontre de son vendeur ; que, de ces constatations, elle a déduit justement qu'il n'y avait pas lieu de surseoir à statuer ;
D'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;
Sur le deuxième moyen, pris en ses deux branches :
Attendu que les sociétés Exa publications et Excelsior informatique reprochent également à l'arrêt d'avoir considéré que la disquette litigieuse constituait un élément du contrat de vente et d'avoir condamné la société Excelsior informatique à garantir la société Agi 32 des conséquences dommageables du virus affectant la disquette, alors, selon le pourvoi, d'une part, que la disquette litigieuse distribuée gratuitement avec la revue dont le prix restait inchangé, n'ayant pas été fabriquée par la société Excelsior informatique et le vice résultant de la présence du virus n'étant pas lié aux modalités de vente du produit, la cour d'appel ne pouvait, sans violer les articles 1134 et 1641 du Code civil, considérer que la disquette était un élément du contrat de vente et que cette société était tenue de l'obligation légale du vendeur ; et alors, d'autre part, que la présence du virus dans la disquette résultant d'une intervention frauduleuse, ce pourquoi ses auteurs ont été poursuivis, échappant à la société distributrice de la revue, la cour d'appel ne pouvait, sans violer à nouveau les dispositions de l'article 1641 du Code civil, considérer que le caractère imprévisible et irrésistible du fait du tiers n'était pas démontré ;
Mais attendu, d'une part, que l'arrêt constate que la disquette, insérée au milieu du journal et fixée à ce support, ne pouvait être physiquement dissociée avant que l'acquisition de la revue permette d'en disposer ; qu'il relève également que cette revue comportait sur la couverture un encart publicitaire, mentionnant la présence de la disquette gratuite, destiné à favoriser la vente de la revue, que sur cette disquette figurait le logo " Soft et micro " faisant apparaître la participation de la société Exa publications dans sa distribution ; que, de ces constatations, la cour d'appel a déduit justement que la disquette constituait l'un des éléments du contrat de vente, et que la société Exa publications était dès lors tenue, en ce qui la concernait, des obligations légales du vendeur ;
Attendu, d'autre part, que l'arrêt retient que le risque de contamination par virus était un risque connu dans le domaine informatique, ayant suscité une abondante littérature ainsi que la mise au point de logiciel de détection et de suppression des virus et d'une véritable stratégie de défense à l'égard de ces risques d'invasion ; qu'il constate également que la société Excelsior avait élaboré un logiciel antivirus, ce qui confirme sa maîtrise en ce domaine et corrobore sa qualité de professionnelle ; qu'il relève qu'elle avait procédé à un contrôle sur la disquette de démonstration, démontrant par là que ce contrôle était usuel et réalisable ; que, de ces constatations, la cour d'appel a pu déduire exactement que le caractère imprévisible et irrésistible du fait d'un tiers n'était pas démontré ;
D'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;
Et sur le troisième moyen :
Attendu que les sociétés Excelsior informatique et Exa publications font encore le même reproche à l'arrêt, alors, selon le pourvoi, que la faute de la victime doit être prise en considération dès lors qu'elle a contribué à la réalisation de son dommage ; qu'en affirmant le contraire, la cour d'appel a violé, par fausse application, l'article 1147 du Code civil ;
Mais attendu qu'en retenant que la société Excelsior informatique reprochait seulement à la société Agi 32 de n'avoir pas utilisé le logiciel antivirus réalisé par elle, ce qui n'était pas établi, la cour d'appel a caractérisé l'absence de faute de la société utilisatrice (Agi 32), abstraction faite des motifs surabondants critiqués par le moyen ; que celui-ci ne peut être accueilli ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi.
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