Les grands arrêts de la jurisprudence en droit informatique : arrêt de la Cour de cassation, chambre commerciale, du 25 octobre 1994 (pourvoi 93-10.184)
Cour de cassation, chambre commerciale
25 octobre 1994, pourvoi 93-10.184
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIERE ET ECONOMIQUE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le pourvoi formé par la société Neyrial informatique, société anonyme dont le siège social est Parc technologique de la Pardieu, ... (Puy-de-Dôme), en cassation d'un arrêt rendu le 5 novembre 1992 par la cour d'appel de Riom (3e chambre civile), au profit de la société Cartolux, société anonyme dont le siège social est à Pont-de-Dore, Peschadoires (Puy-de-Dôme), défenderesse à la cassation ;
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt ;
LA COUR, composée selon l'article L. 131-6, alinéa 2, du Code de l'organisation judiciaire, en l'audience publique du 21 juin 1994, où étaient présents :
M. Bézard, président, M. Apollis, conseiller rapporteur, Mme Pasturel, conseiller, M. de Gouttes, avocat général, Mme Arnoux, greffier de chambre ;
Sur le rapport de M. le conseiller Apollis, les observations de Me Cossa, avocat de la société Neyrial informatique, de la SCP Vier et Barthélemy, avocat de la société Cartolux., les conclusions de M. de Gouttes, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Riom, 5 novembre 1992), que la société Neyrial informatique (société Neyrial) a assigné en paiement d'un système informatique la société Cartolux ; que celle-ci a contesté les prétentions de sa cocontractante et a demandé, en cause d'appel, la résolution du contrat ;
Sur le premier moyen, pris en ses sept branches, et sur le second moyen, réunis :
Attendu que la société Neyrial fait grief à l'arrêt d'avoir prononcé la résolution de la vente et de l'avoir condamnée, par voie de conséquence, à rembourser le prix de la formation du personnel, ainsi qu'à payer des dommages-intérêts à la société Cartolux, alors, selon le pourvoi, de première part, que, devant la cour d'appel, les parties ne peuvent soumettre de nouvelles prétentions si ce n'est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l'intervention d'un tiers ou de la survenance ou révélation d'un fait ; qu'en l'espèce, il résulte des propres énonciations de l'arrêt que le débat a changé de terrain en cause d'appel puisque la société Cartolux, selon ses dernières conclusions, entendait "désormais" voir prononcer la résiliation de la vente ; qu'après avoir constaté la remarque de "la société Neyrial" sur "la tardiveté de la réclamation du client", la cour d'appel ne pouvait déclarer recevable une prétention nouvelle, cela en l'absence de toute évolution du litige puisque le rapport d'expertise avait été déposé avant la saisine des premiers juges, sans violer l'article 564 du nouveau Code de procédure civile ;
alors, de deuxième part, que les manquements éventuels du fournisseur d'un équipement informatique à son devoir de conseil doivent s'appréciser en fonction des besoins et des objectifs fournis par son client ; qu'en l'espèce, il résulte des propres constatations de l'arrêt que la société Neyrial avait vendu un système de micro-informatique composé d'un ordinateur et de
logiciels standard d'un côté, et une formation à la pratique de ces logiciels d'un autre côté, et que le matériel a été livré et la formation fournie ; que, dès lors, en justifiant la résiliation du contrat de vente et le remboursement de la formation par un manquement à l'obligation accessoire de conseil du fournisseur, et cela en l'absence de toute demande faite par la société Cartolux à la société Neyrial de participer à la définition de ses propres besoins et objectifs, la cour d'appel a violé les articles 1147 et 1184 du Code civil ;
alors, de troisième part, qu'il résulte des propres énonciations de l'arrêt que, suivant les constatations de l'expert, la lacune des programmes des logiciels ne pouvait apparaître qu'à l'issue d'une analyse poussée des besoins de l'entreprise Cartolux ;
que, dès lors, en considérant, pour prononcer la résiliation des contrats, que la société Neyrial avait manqué à son obligation de conseil et de délivrance, sans rechercher si les besoins de l'entreprise Cartolux avaient fait l'objet d'un cahier des charges soumis à la société Neyrial, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard des articles 1147 et 1184 du Code civil ; alors, de quatrième part, que la cour d'appel a prononcé la résiliation des contrats, sans rechercher si les doléances de la société Cartolux avaient suivi l'envoi par la société Neyrial d'une lettre recommandée avec avis de réception la menaçant de saisir le Tribunal en cas de non-paiement des factures et si, de la sorte, la société Cartolux avait ainsi recherché elle-même à se préconstituer une preuve ; qu'en se bornant à relever que, suivant la réponse de la société Cartolux, cette dernière avait commencé à se plaindre par voie téléphonique, la cour d'appel n'a pas justifié légalement sa décision au regard des textes susvisés et de l'article 1315 du Code civil ; alors, de cinquième part, que la contradiction de motifs équivaut au défaut de motifs ;
qu'en constatant, d'un côté, que la société Cartolux était d'ores et déjà informatisée, et, d'un autre côté, qu'elle était néophyte en la matière, la cour d'appel s'est contredite, violant ainsi l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ; alors, de sixième part, qu'en toute hypothèse, après avoir constaté que la société Neyrial avait déjà réalisé l'informatisation des devis de la société Cartolux et que la vente litigieuse du micro-ordinateur et des logiciels permettrait l'informatisation de dessins industriels ou artistiques, la cour d'appel ne pouvait faire reposer le manquement à l'obligation de délivrance et de conseil reproché à la première sur l'existence d'une hypothétique opération globale d'informatisation qui lui aurait imposé une mission d'ensemble de conseil, sans constater la réalité de cette mission et le lien de dépendance entre l'information des devis et celle du dessin artistique ou industriel ; que, faute de cette constatation, elle n'a pas légalement justifié sa décision au regard des articles 1147 et 1184 du Code civil ; alors, de septième part, que, enfin, en déduisant l'absence de délivrance du micro-ordinateur et des logiciels standard dont la fourniture faisait l'objet d'un contrat spécifique de l'absence d'une maîtrise suffisante des logiciels par le formateur dont l'enseignement faisait l'objet d'un autre contrat, et en prononçant ainsi tout à la fois la résiliation de deux contrats entre lesquels il n'existait aucune indivisibilité, la cour
d'appel a violé les articles 1147 et 1184 du Code civil ;
Mais attendu, en premier lieu, qu'il ne résulte ni de l'arrêt ni de ses conclusions que la société Neyrial ait excipé de l'irrecevabilité alléguée ; qu'elle ne saurait, par suite, l'invoquer pour la première fois devant la Cour de Cassation ;
Attendu, en second lieu, qu'après avoir relevé, hors toute contradiction, que la société Neyrial, vendeur professionnel de produits informatisés complexes, sophistiqués et très spécialisés, avait, à l'égard de sa cliente, entreprise néophyte en la matière, une obligation contractuelle de renseignement, conseil, information et assistance technique, l'arrêt retient que cette société n'a pas cerné de façon précise les besoins de sa cliente, qu'elle ne lui a pas fourni, en contradiction avec la publicité de son logiciel, un programme en rapport avec cette attente, que la formation du personnel auquel elle s'était engagée a été d'une telle inefficacité que l'entreprise n'a pu mettre en oeuvre son projet, et, enfin, que, par la méconnaissance de son propre produit, elle n'a pu fournir l'assistance indispensable à la mise en route du système ; que la cour d'appel, qui n'avait pas à effectuer d'autres recherches, a relevé tous les éléments propres à justifier légalement sa décision ;
D'où il suit qu'irrecevable en sa première branche, le moyen n'est pas fondé pour le surplus ;
Et sur le second moyen :
Attendu que la société Neyrial demande enfin la cassation de l'arrêt, en ce qu'il l'a déboutée de sa demande en paiement du prix du matériel et de la formation du personnel, comme conséquence de l'annulation de la condamnation prononcée à titre principal ;
Mais attendu que le premier moyen ayant été rejeté, le moyen ci-dessus doit l'être également ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Neyrial informatique à payer à la société Cartolux la somme de 12 000 francs sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
Condamne la société Neyrial informatique à une amende civile de 10 000 francs envers le Trésor public ; la condamne, envers la société Cartolux, aux dépens et aux frais d'exécution du présent arrêt ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par M. le président en son audience publique du vingt-cinq octobre mil neuf cent quatre-vingt-quatorze.
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