Les grands arrêts de la jurisprudence en droit informatique : arrêt de la Cour de cassation, chambre criminelle, du 12 janvier 1989 (pourvoi 87-82.265)
Cour de cassation, chambre criminelle
12 janvier 1989, pourvoi 87-82.265
REJET des pourvois formés par :
- X... Didier,
- Y... Patrick,
contre l'arrêt de la cour d'appel de Reims, chambre correctionnelle, du 27 février 1987, qui, pour vol, les a condamnés chacun à 3 mois d'emprisonnement avec sursis et 5 000 francs d'amende et a prononcé sur les intérêts civils.
LA COUR,
Joignant les pourvois en raison de la connexité ;
Vu les mémoires produits tant en demande qu'en défense ;
Sur le moyen unique de cassation commun aux demandeurs et pris de la violation des articles 388, 158, 427, 512 et 593 du Code de procédure pénale, 379 du Code pénal ;
" en ce que l'arrêt confirmatif attaqué a déclaré Y... et X... coupables des infractions de vol de 70 disquettes au préjudice de la SA Bourquin, et de vol, dans les mêmes circonstances, de temps et de lieu, du contenu informationnel de 47 de ces disquettes ;
" aux motifs que les responsables de l'imprimerie Bourquin, après avoir, selon eux, découvert que Y... et X..., affectés à l'atelier de photocomposition de l'entreprise, y avaient réalisé des travaux personnels préalables à la constitution de leur propre société (qui fut par la suite effectivement créée sous forme de SARL sous le nom de Graphiform en février 1983) faisaient procéder à un constat d'huissier le 28 juin 1982, et priaient les intéressés de quitter les lieux ; qu'il n'est pas contesté que, de concert avec X... qui avait procédé au travail matériel de copie sur les flexidisk, Y... a entreposé à son domicile personnel les 70 disquettes, rapportées au siège de l'entreprise le 29 juin, dont 47 comportaient la reproduction des compositions des travaux exécutés depuis 3 ans, soit depuis l'acquisition en 1979 d'une nouvelle machine à composer gérée par l'informatique par l'imprimerie Bourquin ; qu'il doit être relevé qu'il ne résulte pas de l'information, et en particulier de l'expertise de MM. Z... et A..., que les disques litigieux aient contenu d'autres données que les photocompositions des travaux de l'imprimerie, à l'exclusion des données de procédés industriels propres à l'imprimerie Bourquin et aux modalités de leur exploitation ; qu'il ressort de l'information et des débats que Y... et X... ont, d'une part, appréhendé l'original ou la première copie de sauvegarde pour en faire une reproduction, sans en avertir leurs supérieurs, et qu'ils ont, d'autre part, sorti de l'entreprise les disquettes contenant une copie supplémentaire sans autorisation et sans même en informer la direction ; que, cependant, à leur entrée en fonctions, Y... le 9 décembre 1969, X... le 2 mai 1977, avaient apposé leurs signatures sur la fiche de renseignements les concernant sous la mention " lu règlement d'atelier ci-contre " ; qu'aux termes du 20e alinéa de l'article XX de ce règlement, il est interdit de :
" emporter de l'imprimerie, sans autorisation, des objets et documents imprimés, tierces, bons à tirer, épreuves, appartenant à l'établissement (leur utilisation directe ou indirecte pouvant donner lieu à des poursuites pour détournement de documents) " ;
" que les experts commis par le juge d'instruction, après avoir examiné le matériel de l'imprimerie Bourquin, et celui de la société Graphiform, fournis par le même fabricant, la société Disc de Gand (Belgique), ont indiqué que la compatibilité de l'équipement utilisé par les prévenus et leur parfaite maîtrise du système leur permettaient d'utiliser rationnellement et rentablement les disquettes de l'imprimerie ; que les données commerciales enregistrées sur les disquettes constituaient un fichier de la clientèle d'une extrême richesse ;
" et aux motifs appropriés des premiers juges que les experts précisent qu'il leur paraît évident que les disquettes sont la propriété de l'imprimerie Bourquin, tout comme n'importe quel programme élaboré par un programmeur est la propriété de la société qui l'emploie et non la propriété du programmeur salarié ;
" alors que, d'une part, il résulte de l'article 388 du Code de procédure pénale que les juridictions correctionnelles ne peuvent légalement statuer que sur les faits relevés par l'ordonnance de renvoi ou la citation, qui déterminent l'étendue de leur saisine ; qu'en retenant que Y... et X... avaient utilisé le matériel de l'employeur pour réaliser des travaux personnels préalables à la constitution de leur propre société, la cour d'appel a excédé l'étendue de sa saisine limitée suivant les termes de l'ordonnance de renvoi à la prévention de soustraction frauduleuse de 70 disquettes et du contenu informationnel de 47 d'entre elles, et a ainsi violé le texte susvisé ;
" alors, d'autre part, qu'en relevant qu'il ne résultait pas de l'information que les disquettes litigieuses aient contenu d'autres données que les photocompositions des travaux de l'imprimerie, " à l'exclusion des données de procédés industriels propres à l'imprimerie et aux modalités de leur exploitation ", tout en constatant ensuite que les données commerciales enregistrées sur les disquettes constituaient un fichier de la clientèle d'une extrême richesse ", un tel fichier constituant une modalité de l'exploitation des procédés industriels de l'imprimerie Bourquin, la cour d'appel a entaché sa décision d'une contradiction de motifs et d'un manque de base légale au regard de l'article 593 du Code de procédure pénale ;
" alors qu'en outre, la mission des experts n'ayant, en vertu de l'article 158 du Code de procédure pénale, d'autre objet que l'examen de questions d'ordre technique, les juges correctionnels ne peuvent s'abstenir de procéder à leur propre mission de qualification juridique des faits ; que la cour d'appel s'étant bornée à tirer l'un des éléments constitutifs du délit de vol, à savoir la propriété des disquettes, des seules énonciations du rapport d'expertise, n'a pas donné de base légale à sa décision au regard du texte susvisé, de l'article 593 du Code de procédure pénale et de l'article 379 du Code pénal ;
" alors qu'au surplus, l'article 427 du Code de procédure pénale faisant obligation au juge de ne fonder sa décision que sur des preuves qui lui sont apportées au cours des débats et contradictoirement discutées devant lui, il ne peut retenir des pièces que l'une des parties n'a pas été en mesure de discuter contradictoirement ; qu'en retenant à l'appui de sa décision l'adhésion de Y... le 9 décembre 1969 et de X... le 2 mai 1977, par leur signature, au règlement d'atelier de l'entreprise Bourquin, lequel n'avait jamais été mentionné auparavant au cours de la procédure, sans que le contenu dudit règlement ait été discuté contradictoirement par les prévenus devant elle, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
" alors, enfin, qu'en toute hypothèse, le service de photocomposition dont Y... et X... ont été chargés d'assurer le fonctionnement n'a été créé qu'en février 1979, soit bien après leur adhésion au règlement d'atelier ; qu'en retenant cette adhésion qui ne pouvait s'appliquer à l'organisation d'un service qui n'existait pas encore, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard de l'article 379 du Code pénal " ;
Attendu qu'il appert de l'arrêt attaqué que X... et Y... ont été déclarés coupables, d'une part, du vol de 70 disquettes, et, d'autre part, de celui du contenu informationnel de 47 de ces disquettes durant le temps nécessaire à la reproduction des informations, le tout au préjudice de la SA Bourquin qui en était propriétaire ;
Attendu que sous couvert d'un prétendu défaut de base légale, le moyen se borne à tenter de remettre en cause l'appréciation souveraine des juges du fond, qui ont relevé sans insuffisance, à l'encontre des prévenus, l'ensemble des éléments constitutifs des délits dont ils ont été reconnus coupables ;
Que dès lors le moyen doit être écarté ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE les pourvois.
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