LICENCIE DE DROITS ANTERIEURS - CJUE 19 juillet 2012
Le « licencié de droits antérieurs » dans l’enregistrement de noms de domaines en « .eu »
Le principe d’attribution des noms de domaines de premier niveau .eu mis en place par le règlement n°874/2004 est celui du premier arrivé premier servi : un nom de domaine particulier est attribué pour usage à la partie éligible qui est la première à avoir fait parvenir sa demande au registre.
Cependant, le règlement prévoit un enregistrement par étapes qui permet de protéger « les droits antérieurs reconnus ou établis par le droit national ou communautaire » (considérant 12, règlement n°874/2004).
Cette procédure, prévue par les articles 10 à 14 de ce règlement, dispose que « les titulaires de droits antérieurs reconnus ou établis par le droit national et/ou communautaire (...) sont autorisés à demander l’enregistrement de noms de domaines pendant une durée déterminée (...) avant que l’enregistrement dans le domaine .eu ne soit ouvert au public ».
Dans une affaire récente, la Cour de Justice de l’Union Européenne est venue préciser la notion de « titulaires de droits antérieurs ». (Arrêt du 19 juillet 2012, 2ème chambre, C-376/11).
En l’espèce, deux sociétés, Pie Optiek et Walsh Optical se disputent le dépôt d’un nom de domaine lensworld.eu.
La société Walsh Optical signe avec une société active dans le conseil en propriété intellectuelle un « contrat de licence » dont l’objet principal est l’enregistrement, pour le compte du donneur d’ordre, d’un nom de domaine. Le nom de domaine est attribué a cette entreprise le 10 juillet 2006.
Pie Optiek fait valoir que le contrat en cause ne confère pas à la société de conseil la qualité de « licencié de droits antérieurs ».
La Cour d’appel de Bruxelles saisie du présent litige décide de sursoir à statuer et de transmettre cette question à la Cour.
La Cour, dans un premier temps, relève que le terme de « licencié » n’est pas défini dans le règlement n°874/2004. Elle rappelle alors sa jurisprudence lorsqu’un terme n’est pas défini. Il faut recourir à une interprétation autonome et uniforme qui doit être recherchée en « tenant compte du contexte de la disposition et de l’objectif poursuivi par la règlementation en cause » (arrêts du 18 janvier 1984, Ekro, 327/82).
La Cour précise que d’après le règlement n°733/2002, le domaine de premier niveau .eu a été créé dans le but « d’accroître la visibilité du marché intérieur sur le marché virtuel en créant un lien clairement identifié avec l’Union (...) » (considérant 6).
L’enregistrement de domaines de premier niveau .eu est donc réservé aux entreprises et organisations présentes dans l’Union.
En l’espèce la société Walsh Optical ne remplissait pas la condition de présence sur le territoire de l’Union et c’est pourquoi elle a contracté avec une autre entreprise présente dans l’Union pour l’enregistrement du nom de domaine.
Pour la Cour, une telle démarche est clairement contraire aux objectifs des règlements 733/2002 et 874/2004 (point 41).
La CJUE rappelle également sa jurisprudence en matière de contrat de licence à travers l’arrêt Falco Privatstiftung et Rabitsch (C-533/07, 23 avril 2009). Pour elle, il convient de distinguer le contrat de licence du contrat de service. Un contrat de service concerne une activité déterminée en contrepartie d’une rémunération alors que dans le contrat de licence, le titulaire concède l’exploitation d’un droit exclusif au bénéficiaire.
En l’espèce, le contrat en cause ressemble pour la Cour à un contrat de service et ce, malgré sa dénomination de contrat de licence.
La Cour en déduit que le titulaire de la marque en question ne peut être qualifié de « licencié de droits antérieurs » au sens de l’article 12, paragraphe 2.
Ainsi, la Cour ferme la possibilité de contourner les règlements communautaires pour les entreprises qui ne satisfont pas au critère de présence dans l’Union.