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COUR D'APPEL DE DIJON

CHAMBRE SOCIALE

ARRÊT du 12 AVRIL 2005

RÉPERTOIRE GÉNÉRAL N° 04/00639
Décision déférée à la Cour : AU FOND du 08 JUILLET 2004, rendue
par le CONSEIL DE PRUD'HOMMES DE DIJON
RG 1ère instance : 04/00213


APPELANTE :

CAISSE D'ALLOCATIONS FAMILIALES DE COTE D'OR
8 boulevard Clémenceau
21000 DIJON

Représentée par Me Roland SCHIHIN, avocat au barreau de DIJON


INTIME :

Monsieur M...
Comparant en personne,
assisté de Me Max LE LAGADEC, avocat au barreau de DIJON

DIRECTION REGIONALE DES AFFAIRES SANITAIRES ET SOCIALES
1 rue de l'Hopital
21000 DIJON
Non comparante

COMPOSITION DE LA COUR

En application des dispositions de l'article 945-1 du nouveau Code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 08 Mars 2005 en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Monsieur POISOT, Conseiller chargé d'instruire 1'affaire. Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries lors du dé1ibéré, la Cour étant alors composée de :

Monsieur POISOT, Conseiller, Président,
Madame ROUX, Conseiller, assesseur,
Monsieur RICHARD, Conseiller assesseur,

GREFFIER LORS DES DEBATS : Madame ARIENTA,

ARRET : réputé contradictoire,

PRONONCE à l'audience publique de la Cour d'Appel de DIJON le 12 Avril 2005 par Monsieur POISOT, Conseiller,
SIGNE par Monsieur POISOT, Conseiller, et par Madame ARIENTA greffier présent lors du prononcé.


Monsieur M..., engagé par la Caisse d'allocations familiales du PAS-DE-CALAIS le 25 octobre 1961, a été muté, sur sa demande, le 1er août 1973, à la Caisse d'allocations familiales de la COTE D'OR, au sein de laquelle il a exercé différentes fonctions ;

Par lettre du 17 juin 2003, il a été licencié pour faute grave, alors qu'il occupait un emploi d'opérateur audiovisuel.

Contestant cette mesure, il a saisi le conseil de prud'hommes de DIJON pour obtenir le paiement, avec exécution provisoire, des sommes suivantes :

- 41 124,98 euros, à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement
- 9 490,38 euros, à titre d'indemnité compensatrice de préavis
- 90 000 euros, à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
- 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Il a également demandé que la Caisse d'allocations familiales de la COTE D'OR soit condamnée à rembourser à l'ASSEDIC les allocations de chômage à concurrence de six mois.

Par jugement du 8 juillet 2004, le conseil de prud'hommes a :

- dit que le licenciement de Monsieur M... était abusif

- a condamné la Caisse d'allocations familiales de la COTE D'OR à lui payer les sommes de :

   - 25 304 euros à titre de dommages-intérêts, en application de l'article L. 122-14-4, alinéa 1, du Code du travail, avec consignation de cette somme auprès de la Caisse des dépôts et consignations
   - 9 489 euros, brut, à titre d'indemnité compensatrice de préavis, en application es dispositions de l'article L. 122-8, alinéa 1, du Code du travail et 54 de la convention collective
   - 41 119 euros, à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement en application de l'article 55 de la convention collective

- ordonné l'exécution provisoire à hauteur de 28 467 euros

- ordonné le remboursement par la Caisse d'allocations familiales de la COTE D'OR aux organismes concernés des indemnités de chômage versées à Monsieur M... du jour du licenciement au jour du prononcé du jugement dans la limite de six mois d'indemnités de chômage, en application de l'article L. 122-14-4, 2ème alinéa, du Code du travail

- condamné la Caisse d'allocations familiales de la COTE D'OR à payer à Monsieur M... la somme de 1 500 euros, sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.


Appelante de cette décision, la Caisse d'allocations familiales de la COTE D'OR demande à la Cour d'infirmer le jugement et de débouter Monsieur M... de l'ensemble de ses demandes.

Monsieur M... réitère ses demandes initiales et sollicite le paiement d'une somme de 3000 euros sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Pour un plus ample exposé des demandes et moyens des parties, la Cour entend se référer à leurs conclusions, reprises oralement à l'audience, après avoir été régulièrement échangées et déposées.


MOTIFS :

Attendu que la lettre de licenciement, qui fixe les limites du litige, énumère les griefs suivants :

"Le 14 mai 2003, vous avez adressé par messagerie interne, à l'ensemble des agents de la Caisse d'Allocations Familiales de la Côte d'Or, un document contenant des textes et des images contraires aux bonnes moeurs.

Devant la gravité des faits, j'ai décidé de mettre en oeuvre une procédure disciplinaire conformément à ce qui est prévu à l'article L 122-14 du Code du travail et à l'article 48 de la Convention collective nationale.

Après avoir réuni la délégation du personnel en votre présence le 21 mai 2003, j'ai pris une décision de mise à pied immédiate avec maintien de salaire.

Au cours de l'entretien préalable de licenciement du 27 mai 2003, je vous ai précisé que :

- vous avez transgressé les consignes de sécurités informatiques contenues dans la charte d'utilisation internet/intranet de la Caisse d'Allocations Familiales de la Côte d'Or, laquelle charte est annexée au règlement intérieur de l'entreprise,

- vous avez détourné l'utilisation des outils de communication et les habilitations qui vous étaient accordées au titre d'agent responsable des technologies de communication, bénéficiant, à ce titre, d'une large délégation de confiance pour l'exercice de cette mission,

- vous avez transgressé les valeurs de respect et de dignité d'une institution dont la raison d'être est la famille,

- vous avez transgressé également les valeurs de notre organisme, dont le plan de développement, connu des salariés, prône comme valeurs fondatrices la responsabilité, la confiance et le respect mutuel, tant dans les relations internes que dans les relations avec les allocataires.

Conformément aux dispositions de l'article 48 de la Convention collective, j'ai demandé la réunion du Conseil de discipline régional pour recueillir son avis.

Suite à sa réunion du 16 juin 2003, le Conseil, après délibération, a émis l'avis suivant :

- deux membres favorables à un licenciement pour cause réelle et sérieuse,
- trois membres favorables à une mesure de rétrogradation,
- un membre estime que les faits reprochés sont passibles d'un blâme.

Après avoir entendu vos explications et recueilli l'avis du Conseil de discipline, je prends la décision de vous licencier pour faute grave, vos agissements étant en totale contradiction avec la délégation que je vous ai accordée, les règles de fonctionnement et les valeurs de notre organisme." ;


Attendu qu'il est constant que, le 14 mai 2003, à 13 heures 26, Monsieur M... a transmis, sur la messagerie intranet de la Caisse d'allocations familiales, trois documents adressés aux destinataires suivants : "G... A...", "A tous les agents", "D... F...",

Que le premier texte se rapportait aux "revendications syndicales" d'un "pénis" et à la réponse de la direction à ces revendications, que le deuxième texte intitulé "subtilités de la langue française" portait sur les différents qualificatifs désignant une "pute" et que le troisième document concernait un jeu consistant à reconnaître des fesses d'hommes et de femmes à partir de vingt photographies ;

Attendu que la charte annexée au règlement intérieur et intitulée "Sécurités informatiques et charte d'utilisation internet/intranet à la CAF de Dijon", dont la transgression est invoquée dans la lettre de licenciement, ne comporte aucune interdiction expresse d'utilisation par les agents de la Caisse de l'intranet "Lotus Notes" à des fins personnelles ;

Qu'il en résulte que l'utilisation de la messagerie électronique professionnelle pour envoyer ou recevoir des messages à caractère personnel ne présente pas de caractère fautif et ne constitue pas un détournement des outils de communication lorsque les agents y ont recours dans des limites raisonnables ;

Qu'il convient de rappeler sur ce point que, bien qu'échangés entre agents depuis un poste informatique professionnel, ces messages revêtent le caractère d'une correspondance privée, dont la connaissance échappe, en principe, à l'employeur, sauf dans le cas où un système de contrôle individuel, déclaré à la CNIL, a été régulièrement mis en place, après consultation des instances représentatives du personnel ;

Que l'envoi intentionnel, pendant une pause et non pendant le temps de travail, des documents litigieux à deux salariés nommément désignés - MM. A... et F... - ne constituait pas un fait illicite ;

Attendu qu'il ne pourrait être reproché à Monsieur M... d'avoir commis une faute grave que s'il était établi que l'intéressé avait, de manière intentionnelle, adressé ces mêmes documents à l'ensemble des salariés de la caisse, en prenant ainsi délibérément le risque de choquer la pudeur de certains d'entre eux par la connotation sexuelle des documents transmis ;

Attendu que Monsieur M... soutient à cet égard que ces documents étaient destinés exclusivement à deux salariés et que c'est par inadvertance qu'ils ont été adressés à l'ensemble du personnel ;

Attendu que la Caisse d'Allocations Familiales de la COTE D'OR, sur qui pèse la charge de la preuve de la faute grave, verse aux débats le rapport d'un expert en informatique, mandaté par elle pour donner son avis sur le caractère intentionnel ou non de l'envoi du courrier à tous les agents de la Caisse par la messagerie Lotus Notes, qui confirme la forte probabilité d'une erreur involontaire de la part de Monsieur M... ;

Qu'en page 7 de son rapport, l'expert conforte les allégations de Monsieur M... par les explications suivantes :

"Il est fort probable que l'envoi du courriel litigieux à la liste "A tous les agents" ait été le fait d'une erreur involontaire.

En effet, on peut remarquer sur la photographie précédente que l'adresse "A tous les agents" se situe juste au-dessus de l'adresse "A... G...".

Or cela produirait un doublon de spécifier les adresses de G... A... et de D... F... en supplément de celui de la liste "A tous les experts".

Cette erreur de doublon tendrait d'ailleurs à corroborer le fait que Monsieur M... a réalisé une sélection volontaire des destinataires dans le carnet d'adresses et qu'il ait sélectionné par erreur une adresse en trop, celle de "A tous les agents"." ;


Que, sans même qu'il y ait lieu de se référer à l'avis de ce technicien, les conditions et circonstances, dans lesquelles les envois litigieux ont été effectués étaient en elles-mêmes suffisamment évocatrices pour démontrer l'absence de caractère intentionnel de l'envoi à l'ensemble du personnel et lui retirer par là-même son caractère fautif ;

Attendu que la Caisse, qui invoque dans la lettre de licenciement l'atteinte aux bonnes moeurs et la transgression des valeurs de la Caisse, que sont "la confiance mutuelle et la responsabilité" tant dans les relations internes et dans les rapports avec les allocataires, ne produit aucun témoignage de salariés qui se seraient déclarés choqués ou indignés par le contenu des documents reçus et qui auraient considéré qu'il était attentatoire aux valeurs de la Caisse ;

Attendu que le salarié produit différents témoignages de salariées qui ont, au contraire, estimé que la teneur de ces documents n'était pas choquante et ne portait pas atteinte à la dignité du personnel féminin de la Caisse ;

Qu'en conséquence, dès lors que l'envoi des documents litigieux à tous les agents était involontaire, et qu'il n'a suscité de la part des destinataires aucune réaction d'indignation et n'a ainsi causé aucun trouble dans l'entreprise, la Caisse n'était pas fondée à considérer que la poursuite de la relation contractuelle s'avérait impossible pendant le préavis et que la faute grave de Monsieur M... était caractérisée ;

Qu'au regard des 42 années d'ancienneté de l'intéressé et de son parcours professionnel exempt de tout reproche, les faits litigieux ne constituaient ainsi ni une faute grave ni même une faute constitutive d'une cause réelle et sérieuse de licenciement ;

Attendu qu'il convient, en conséquence, de confirmer, en toutes ses dispositions, la décision des premiers juges, qui ont, par ailleurs, procédé à une juste évaluation du préjudice résultant de la rupture du contrat de travail ;

Attendu qu'il est équitable d'accorder à Monsieur M... une somme de 1000 euros sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

Attendu que les dépens seront à la charge de la Caisse d'allocations familiales de la COTE D'OR ;


PAR CES MOTIFS :

La Cour,

- Confirme le jugement déféré en ce qu'il a :

dit que le licenciement de Monsieur M... ne repose ni sur une faute grave ni sur une cause réelle et sérieuse ;

condamné la Caisse d'allocations familiales de la COTE D'OR à payer à Monsieur M... les sommes de :

   - 25 304 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, en application de l'article L. 122-14-4 du Code du travail
   - 9 489 euros, à titre d'indemnité compensatrice de préavis
   - 41 119 euros, à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement
   - 1 000 euros, sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

ordonné le remboursement par la Caisse d'allocations familiales de la COTE D'OR aux organismes concernés des allocations de chômage servies à Monsieur M..., dans la limite de six mois d'indemnités de chômage ;

dit que les dépens de première instance seront à la charge de la Caisse d'allocations familiales de la COTE D'OR ;

Et y ajoutant,

- Condamne la Caisse d'allocations familiales de la COTE D'OR à payer à Monsieur M... une somme de 1000 euros sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

- Dit que les dépens de l'appel seront à la charge de la Caisse d'allocations familiales de la COTE D'OR.